C’était une journée typique, à l’heure du dîner. Une jeune collègue début vingtaine lance aux mamans à ses côtés : « Avez-vous un enfant préféré? » Avant même que je remarque que toutes les autres mères faisaient un gros « non » de leur tête, sur un ton naïf et sans trop réfléchir, je balance avec légèreté : « Mon milieu. » Vous dire la vitesse à laquelle les têtes se sont tournées vers moi! J’ai mangé toute une baffe… visuelle! Après avoir eu droit à quelques « Ben voyons, tu peux pas dire ça! », « Impossible. » et « JE L’SAVAIS que les parents avaient un préféré! », j’ai fini par m’expliquer.
En fait, c’est pas que j’ai vraiment un préféré. C’est qu’il y en a un avec qui c’est plus facile. Un avec qui ça coule plus aisément. Un avec qui c’est plus naturel, organique. En général, dans la vie, si on se retrouve devant un Y de chemin, que d’un côté, la route s’annonce paisible-les-petits-oiseaux-cui-cui-les-petits-chiens-ouf-ouf (on voit ici mon amour pour François Pérusse!), et que de l’autre côté, le chemin est parsemé de pentes arides et remplis d’obstacles de tous genres, ben on choisira fort probablement la voie la plus paisible. Pour bon nombre d’humains, la facilité l’emporte haut la main face à la difficulté. Et je ne fais pas exception à la règle. Avec « mon milieu », c’est plus simple. Avec mon plus vieux, c’est plus houleux!
Cela dit, de quoi sommes-nous le plus fier en général? Des buts qu’on a compté les doigts dans le nez dans un filet désert ou des points qu’on a marqué alors qu’on avait 3 autres joueurs à nos trousses et que le gardien de 6 pieds 5 nous attendait solide comme un rock ne laissant qu’une mini-ouverture dans l’extrême coin droit? Bien au-delà des résultats, la fierté se gonfle avec le niveau d’efforts dont on a eu recours pour atteindre ledit objectif. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire comme dirait l’autre! Eh ben mon milieu, c’est mon petit sentier battu bien défini dans la montagne que je connais avec la dénivellation juste parfaite pour mon niveau de débutante en « hicking ». Mon plus vieux, lui, c’est mon Everest.
Du pied de la montagne, le pic semble inatteignable, une mission quasi impossible. Mais comme y’a pas d’autres chemins qui s’ouvrent à nous, on s’attache à toute notre persévérance et notre amour pour commencer l’aventure de notre vie.
Pour le gravir cet Everest, il faut être renseigné. Il faut apprendre des techniques spécifiques à son ascension parce que les techniques de marche habituelle ne fonctionnent pas, c’est carrément une autre catégorie. Et quand on monte l’Everest, y’a beaucoup d’obstacles. Notre confiance est souvent ébranlée. On se vide de notre énergie, parfois on perd l’espoir d’y arriver un jour. Ça prend du temps, beaucoup de temps. Ça prend de l’aide, beaucoup d’aide. Ça prend des outils, des trucs, de la patience et une volonté de fer. Mais à chaque palier gravis, y’a une énorme dose de fierté qui nous envahie. Du haut de ces paliers où on se sent un peu plus stable et en contrôle, on peut voir tout le chemin qu’on a parcouru, ce qu’on accompli, les obstacles qu’on a surmontés pour y arriver. Et après un temps d’arrêt d’une durée variable et inconnue (parce que tsé, faut pas se leurrer, le calme ne dure jamais bien longtemps!), on repart pour une autre « stretch », tout aussi intense mais avec un peu plus d’outils qu’au départ. On évite plus aisément les pièges qui nous attendaient. On voit mieux venir les coups et on prend de meilleurs choix. Ce qui fait qu’au prochain palier, on est encore plus fier parce qu’on voit l’amélioration. On voit que nos efforts et nos apprentissages ont porté fruit. On se repose et on repart vers le prochain palier. Et petit à petit, jour après jour, mois après mois, année après année, on gravit ce bel Everest.
Je parie qu’arrivée au sommet, à l’âge de sa maturité cérébrale, la vue sur tout ce chemin parcouru sera époustouflante. Inoubliable. Je parie que cet Everest, qui est LOIN d’être la montagne que j’aurais choisie de gravir de mon propre chef, sera la fierté de ma vie. Ce petit bout d’homme qu’on aura élevé, guidé, épaulé pendant toutes ces années sera le plus beau trophée de mon humble vie.
Alors mon grand, sache que même si d’emblée je ne t’avais pas qualifié comme « mon préféré », tu seras sans doute celui dont je serai le plus fière car tu seras parti de bien plus bas que les autres, tu auras franchi beaucoup plus d’obstacles, relevé bien plus de défis et atteint un sommet bien plus élevé que tes frères.
N’oublie jamais que même si parfois c’est plus difficile entre nous, je t’aimerai toujours, mon bel Everest!