Toujours repousser les limites. Ça, c’est la devise de mon plus vieux. Certains me diront « Tous les enfants sont comme ça. » Oui. Mais non! Pas à l’échelle de nos grands oppositionnels! Ils sont de fins funambules ceux-là. Ils sont passés maîtres dans l’art de marché sur la ligne, celle qu’il ne faut pas dépasser avant de subir la conséquence de nos actes. Pour éviter de la franchir, ils ont appris à bien l’aplatir pour qu’elle soit un peu plus large, pour qu’il y ait plus de marge de manœuvre…
Je sais pas chez vous mais chez nous, c’est ben populaire les « mots de toilette ». Ils arrivent à en placer à peu près dans n’importe quelle phrase. Ils ne se donnent même plus la peine d’avoir une raison ou un contexte pour les dire, ils en lâchent un peu partout, dans chaque phrase, sans raison. On a même droit à des chansons improvisées ayant pour thème la défécation. JOIE. Alors quand tu décides de mettre un terme à ces tirades évoquant le système digestif, nos charmants funambules, ne pouvant se résoudre à obéir (obéir… pfff… c’est tellement 1950) contournent le problème en écrasant la fameuse ligne à pieds joints.
– Ca…. La la la…. Ca….et Pi…..na na na… pi….
– Bon… 2 minutes de moins aux jeux vidéo ce week-end.
– Ben là! J’ai pas dit caca ou pipi! J’ai dit : ca…. La la la….ca… Pi na na na…. pi
– …
Ou encore :
– Mon grand, arrête de lancer la balle dans la maison, ça va finir par briser quelque chose.
Son prochain move? Il kick la balle bien sûr.
Ce à quoi je lui lance un regard intense digne des imitations les plus exagérées de Jean-Luc Mongrain.
– Ben QUOI!? Je l’ai pas lancée, je l’ai fait rouler avec mon pied!
Non mais tu me niaises-tu? À quel point tu me cherches?
Des fois, il veut tellement avoir le dernier mot ou avoir une impression de contrôle qu’il se met volontairement (mais inconsciemment) en danger :
Voyant mon gars qui se prépare à descendre les marches sans en toucher une, une jambe sur la rampe, l’autre sur le point de se donner une swing…
– DESCENDS TOUT DE SUITE DE LÀ! C’est extrêmement dangereux!
– Ben là! C’est plate, on n’a jamais le droit!
Ahh…. C’est vrai que c’est plate quand nos parents ne nous laissent pas la chance de devenir paraplégique de temps en temps…
Alors question de montrer son mécontentement sans franchir : « LA LIGNE » (à lire avec une grosse voix avec de l’écho), il se penche au niveau du corps où ça plie, c’est-à-dire son tronc, au complet par-dessus la rampe, tête première, pour ne pas « glisser » sur la rampe mais juste s’y laisser pendre comme un vieux pantin…
Ben oui, c’est logique. En plus de devenir paraplégique, on va ajouter la probabilité de devenir amnésique ou de mourir hein… rendu là!
– Sérieux?!?
– BEN QUOI!!!???
Non mais à quel point il a besoin de repousser la limite? Apparemment à en mettre sa santé, que dis-je, sa VIE en danger… Misère. Ça va être quoi au secondaire quand les concours de « chicken » vont commencer… Quand le niveau de « moins on réfléchit mieux c’est » augmentera considérablement. Quel genre de bêtise humaine ça va donner? Des fois ça me fait peur…
D’autres fois, le vacillement sur ladite ligne est plus politically correct.
– Mon grand, peux-tu arrêter de chanter dans la voiture svp? Ça dérange les autres et je ne peux pas gérer ce genre de chicane au volant.
Ce à quoi il obtempère, mais…
– Bla!…. prffesktjls…. Haaaaa! Tttttttt…. (ça, c’est des bruits de bouche, très variés et aléatoires tant dans leur longueur que dans leur fréquence)
– Qu’est-ce que je viens de dire?
– Ben quoi! (il le dit souvent ça!) Je chante pas!
C’est là que je lui sors une des mes phrases fétiches ces temps-ci :
« À force de marcher sur la ligne, tu vas finir par tomber! Si tu ne veux pas avoir de conséquences plates, arrête de tenter le diable! »
Des fois, je me dis que j’ai hâte qu’il soit papa pour qu’il comprenne toute l’énergie qu’il nous suce à toujours vouloir provoquer et repousser les limites.
J’ai hâte qu’il comprenne à quel point je vois dans son propre jeu. TOUJOURS. À quel point je sais qu’il éprouve un malin plaisir à titiller cette fine ligne pour tenter d’obtenir ce qu’il désire, pour ne pas se faire brimer dans ses libertés, ses envies.
D’ici là, je vais continuer d’essayer de lui faire comprendre qu’à force d’étirer l’élastique, ben il finit par nous péter en pleine face. Et ça, ça fait pas mal plus mal que de juste apprendre la limite de son élasticité. Et de la respecter!