Si vous n’êtes pas un travailleur des services essentiels, ou depuis peu, un employé qui doit physiquement être présent dans l’entreprise pour assumer ses fonctions, vous êtes fort probablement dans ma situation, c’est-à-dire, parent à temps plein/professeur/GO/cuisinière/toute-autre-tâche-connexe…
Devoir porter tous ces chapeaux à la fois est une tâche colossale et avouons-le, qui pèse assez lourd sur nos épaules déjà bien chargées. Par chez nous, la pression des professeurs sur leurs élèves (donc sur nous, les parents) s’est intensifiée depuis que les ouvertures des écoles ont été officiellement annulées. Nous sommes passés soudainement du statut « travaux non obligatoires » à 6 rencontres virtuelles par semaine (par enfant!), le tout, additionné de travaux et leçons obligatoires. Les courriels se multiplient nous ajoutant des rencontres avec les spécialistes (anglais, musique, éducation physique) et nous rappelant en caractères gras que l’école est obligatoire. Aussi obligatoire que la non-présence des enseignements par les professeurs pendant deux mois? Sincèrement?
Pendant deux mois, c’était free for all : « Faites ce que vous voulez, comme vous le pouvez ». Tout d’un coup, le gouvernement fait volte-face et semble oublier que le difficile équilibre travail/famille n’a pas changé lui, il est toujours aussi précaire et demandant. Et maintenant, si t’arrives pas à presser le citron encore plus à ton boulot pour réussir à ne pas perdre le peu de productivité qu’il te restait, bien tu te fais littéralement dire tu ne respectes pas la loi. Oui, les professeurs ont (en temps normal) une tâche énorme sur leurs épaules et si peu de ressources pour les aider. Mais en ce moment, nous les parents, on se retrouve avec deux jobs à temps plein. Faut pas être trop anxieux, désorganisé et avoir de trop de problèmes interfamiliaux (manque de revenu, perte d’un être cher, violence, etc.) parce que y’a de quoi s’écrouler. Et solide.
Comprenez-moi bien, techniquement, ce soutien et ce suivi des professeurs est une bonne chose en soi. En étant présent, en direct, devant nos enfants, ils peuvent nous retirer une partie de ce fardeau. Le hic, c’est qu’entre les profs qui maîtrisent peu la technologie et qui rendent les rencontres malaisantes ou difficiles à suivre; les élèves (plus jeunes) qui trouvent bien plus amusant de faire des grimaces à la caméra ou de montrer leurs derniers bricolage à l’écran, les nombreuses distractions rendent l’exercice peu efficace… Pour vrai, dans les dernières rencontres, on a eu droit à un élève qui prend son chien dans ses bras – ce qui déconcentre automatiquement mon garçon qui peinait déjà à écouter – un petit frère qui passe dans le cadre (ça c’était le mien!), un enfant qui se met à chigner parce que la lecture est difficile et que le prof n’arrive pas à s’interposer entre l’enfant et le parent… C’est carrément étourdissant.
Et le défi est encore bien plus immense pour nos enfants à développement atypique pour qui la concentration est déjà difficile dans un contexte normal. Là, avec la gestion « d’ouvre ton micro, ferme ton micro, ouvre ton micro, ferme ton micro », du bruit du petit frère qui joue à côté, du chat qui saute sur la table pendant que tu essaies d’écrire ou de lire, de l’ami qui s’amuse à montrer tous ses jouets à la caméra… on s’entend que nos enfants ont quintuplé leur déficit d’attention!
Et nous ben… On erre dans ces eaux troubles, constamment en train de faire la police : « Chut! Ton frère est en rencontre! », « Arrête de faire des grimaces! », « Non, je ne peux pas te faire de la limonade en ce moment. », « MOINS FORT, LE BRUIT! » Ça va bien aller, qu’ils disent… Ouais…
Je réalise après deux mois que je n’aime pas la maman, ni la professionnelle que je suis devenue. Éparpillée partout mais efficace nulle part. Toujours un peu frustrée de devoir constamment remettre quelqu’un à l’ordre (pour assurer un certain fonctionnement) et toujours amère de ne pas arriver à livrer la marchandise au boulot. Arrive la fin de la journée, quand on ferme l’ordi, où un sentiment d’échec nous envahi parce qu’on n’a tellement pas avancé et parce qu’on a fait preuve plus de négatif que de bienveillance. Épuisée de cette surcharge qui s’accumule, même une fois le chapeau professionnel retiré, notre patience ne revient malheureusement pas à la normale, elle reste bien amoindrie. Nous revoilà donc en train de perdre patience, au moindre petit problème qui survient. On répond bête, on dit des trucs qu’on aurait préféré exprimer autrement. On regrette. Les enfants sont couchés, on regarde notre journée et on se dit qu’on essaiera de faire mieux demain. Mais notre batterie, elle se recharge pas aussi bien qu’avant. Elle est usée, s’est effritée comme le roc que les vagues fracassent, jour après jour.
Avec le recul, je crois que beaucoup de bien ressortira de ce marathon forcé que la vie nous a enfoncé en pleine gorge. L’équilibre finit toujours par revenir. Faut juste passer au travers la tempête, en espérant ne pas laisser trop de dégât permanent dans leurs petits cœurs et dans leur estime si fragile.